A quoi sert la religion ? D’où vient notre besoin de textes religieux ? Dans un essai exigeant, le philosophe allemand explore les rouages du théâtre de la parole divine.
La gravitation condamne les humains à la Terre, et seul demeure le regard pour sonder le silence qui les toise, là-haut. Selon le dernier essai de Peter Sloterdijk, « faire parler le ciel » serait ainsi le propre de l’humain. Du moins de l’individu occidental qui, depuis l’Antiquité, a détaché d’ici-bas un ciel des idées et a peuplé l’Olympe de « créatures de l’antigravitation» : les dieux. Nous progressons tirés par cette conscience que « quelque chose » nous dépasse, signe vers un inconnu qui nous est constitutif.
Cette orientation réflexive, c’est le verbe qui, in illo tempore, qui s’est attaché à la décrypter le lien entre le divin et le langage. Ce filon remonte aux plus anciennes sources écrites, nous rappelle le philosophe germanique, dont le point de départ en 1983 fut sa grande Critique de la raison cynique.Elle sera développée profondément par la trilogie des Sphères, au tournant des années 2000. Aujourd'hui, 27 ans plus tard, il s’impose comme l’une des plus signifiantes figures de notre époque
Théopoésie,
ce mot qui rappelle de manière un peu lointaine Patrice de la Tour du pin. Pour
son traducteur Olivier Mannoni, le
français rend fautivement l’allemand «Dichtung », qui décrit l’idée de création
au sens large. Nous n'avons qu'à rappeler l’œuvre cardinale de Paul Celan,
cette poétique de l'indigence.
« Que
serions-nous donc sans le secours de ce qui n’existe pas ? » : c’est en passant
par ces mots de Paul Valéry que l’ancien recteur de la Hochschule für
Gestaltung de Karlsruhe résume l’enjeu vital de la théopoésie.
De
l’épiphanie à la sociophanie
De la Grèce
à l’Egypte antique au Moyen Age chrétien et islamique, Sloterdijk s'achemine, par
un geste historiographique, vers les civilisations en leur contexte historique. Il s’efforce de montrer comment elles ont et continuent leur navigation avec le compas de la parole sacrée. Méditer Peter Sloterdijk est un exercice spirituel qui déracine et.
érode : son écriture hardie et lucide, si situe au carrefour des sciences, de a
religion en philosophie critique de son Zeitgeist. Cet esthète de
"l"être-jeté" qui aime affirmer un peu dans un esprit baroque,
qui ne va pas sans rappeler un Balthazar Gracian !
La
fraîcheur de ses fulgurances, en particulier, lorsque qu'il s’attaque à la
modernité, convoque le second principe de la thermodynamique pour évoquer les
monarchies de droit divin qui ont,
longtemps, joué le rôle de « retardement de l’entropie », en maintenant
en vie des dieux jusqu’à un siècle des Lumières qui générer leur effondrement.
Pourtant,
il faut se souvenir qu'avant l’entropie, la thermodynamique est gouvernée par
une première loi, la conservation de l’énergie : qu'est-ce qu'une théopoésie
sans dieux ? C'est dans une proposition de retour sur soi, que le philosophe de
Karlsruhe, pour qui la modernité entérine la société comme «hyperobjet émergent
». Désormais, "sociophanie" congédie l’épiphanie ce nouveau type de théologien est devenue
sociologue par la force des choses. En voici deux « propositions » : 1- La
religion, désormais attachée à l’individu, est devenue libre, donc « renvoyée à
l’inutilité sociale ». Maintenant, elle est concurrence avec l’art et la
philosophie pour inspirer une autre interprétation de l’existence humaine. Car
on ne vient pas à bout de qui meurt debout.
© Martin G. Laramée, 2 mars, 2024.