2 mars 2024

Théopoésie ou Dichtung à propos d'un livre récent de Peter Sloterdijk

 

A quoi sert la religion ? D’où vient notre besoin de textes religieux ? Dans un essai exigeant, le philosophe allemand explore les rouages du théâtre de la parole divine.

La gravitation condamne les humains à la Terre, et seul demeure le regard pour sonder le silence qui les toise, là-haut. Selon le dernier essai de Peter Sloterdijk, « faire parler le ciel » serait ainsi le propre de l’humain. Du moins de l’individu occidental qui, depuis l’Antiquité, a détaché d’ici-bas un ciel des idées et a peuplé l’Olympe de « créatures de l’antigravitation» : les dieux. Nous progressons tirés par cette conscience que « quelque chose » nous dépasse, signe vers un inconnu qui nous est constitutif.

Cette orientation réflexive, c’est le verbe qui, in illo tempore, qui s’est attaché à la décrypter le lien entre le divin et le langage. Ce filon remonte aux plus anciennes sources écrites, nous rappelle le philosophe germanique, dont le point de départ en 1983 fut sa grande Critique de la raison cynique.Elle sera développée profondément par la trilogie des Sphères, au tournant des années 2000. Aujourd'hui, 27 ans plus tard, il s’impose comme l’une des plus signifiantes figures de notre époque

Théopoésie, ce mot qui rappelle de manière un peu lointaine Patrice de la Tour du pin. Pour son traducteur Olivier Mannoni,  le français rend fautivement l’allemand «Dichtung », qui décrit l’idée de création au sens large. Nous n'avons qu'à rappeler l’œuvre cardinale de Paul Celan, cette poétique de l'indigence.

« Que serions-nous donc sans le secours de ce qui n’existe pas ? » : c’est en passant par ces mots de Paul Valéry que l’ancien recteur de la Hochschule für Gestaltung de Karlsruhe résume l’enjeu vital de la théopoésie.

De l’épiphanie à la sociophanie

De la Grèce à l’Egypte antique au Moyen Age chrétien et islamique, Sloterdijk s'achemine, par un geste historiographique, vers les civilisations en leur contexte historique. Il s’efforce de montrer comment elles ont et continuent leur navigation avec le compas de la parole sacrée. Méditer Peter Sloterdijk est un exercice spirituel qui déracine et. érode : son écriture hardie et lucide, si situe au carrefour des sciences, de a religion en philosophie critique de son Zeitgeist. Cet esthète de "l"être-jeté" qui aime affirmer un peu dans un esprit baroque, qui ne va pas sans rappeler un Balthazar Gracian !

La fraîcheur de ses fulgurances, en particulier, lorsque qu'il s’attaque à la modernité, convoque le second principe de la thermodynamique pour évoquer les monarchies de droit divin qui ont,  longtemps, joué le rôle de « retardement de l’entropie », en maintenant en vie des dieux jusqu’à un siècle des Lumières qui générer leur effondrement.

Pourtant, il faut se souvenir qu'avant l’entropie, la thermodynamique est gouvernée par une première loi, la conservation de l’énergie : qu'est-ce qu'une théopoésie sans dieux ? C'est dans une proposition de retour sur soi, que le philosophe de Karlsruhe, pour qui la modernité entérine la société comme «hyperobjet émergent ». Désormais, "sociophanie" congédie l’épiphanie  ce nouveau type de théologien est devenue sociologue par la force des choses. En voici deux « propositions » : 1- La religion, désormais attachée à l’individu, est devenue libre, donc « renvoyée à l’inutilité sociale ». Maintenant, elle est concurrence avec l’art et la philosophie pour inspirer une autre interprétation de l’existence humaine. Car on ne vient pas à bout de qui meurt debout.

© Martin G. Laramée, 2 mars, 2024.

24 février 2024

Non-dualité

 Il est luminescent, très proche et familier car Il se meut dans la grotte du cœur, et Il est également le but majeur. A Lui se rattache tout ce qui bouge, tout ce qui respire, et tout ce qui cligne ou non. Connais cet Unique qui inclut le grossier et le subtil, se trouve au-delà du savoir ordinaire des créatures, et représente le plus désirable et le plus auguste absolu.

Mundaka Upanishad, II-ii-1.


18 juillet 2022

Ernesto Grassi in memoriam (1902-1991)


Ernesto Grassi a été l'une des figures les plus importantes de la philosophie européenne. Peu connu en France, où deux seulement de ses ouvrages, Humanisme et marxisme et La Métaphore inouïe, ont été traduits, il jouissait d'un grand prestige en Italie, sa patrie, et surtout en Allemagne, où il passa la plus grande partie de son existence. Son œuvre est d'ailleurs, pour l'essentiel, écrite en allemand.

Né à Milan, en 1902, Grassi étudia la philosophie dans sa ville natale, puis à Aix-en-Provence, 

avec Maurice Blondel. Une rencontre avec Husserl, à Fribourg-en-Brisgau, en 1924, 

eut une influence déterminante sur sa carrière et son destin philosophique, en achevant 

de le libérer de l'influence écrasante que le néo-hégélianisme de Croce et de Gentile exerçait 

à cette époque sur la philosophie italienne. À Marbourg, il suivit l'enseignement de Heidegger, 

qu'il accompagna en 1929 à Fribourg-en-Brisgau, et auprès de qui il resta près de dix ans en 

qualité de lecteur, puis d'assistant, et enfin de « professeur honoraire ». La pensée de 

Heidegger le marqua profondément, même s'il prit assez tôt ses distances avec son maître

 pour des raisons tout à la fois humaines, politiques et philosophiques. En 1938, il fonda à 

Berlin, avec Romano Guardini, l'institut Studia Humanitatis, consacré à la défense de 

l'humanisme latin et italien, et qui prit, dans le contexte de l'époque, la signification d'une 

résistance à l'idéologie germanique. Pendant la guerre, il se réfugia en Suisse, où il enseigna à

 l'université de Zurich. Ensuite, pendant vingt-sept ans, il fut titulaire de la chaire d'histoire et de

 philosophie de l'humanisme à l'université de Munich, tout en ayant d'importantes responsabilités

 dans le domaine de l'édition (il dirigea chez Fink l'Humanistische Bibliothek, et chez Rowohlt

 la Rowohltsdeutsche Enzyklopädie et les Rowohlt Klassiker). Jusqu'à l'extrême fin de sa vie, il 

eut une activité intellectuelle intense, publiant à un âge avancé certains de ses textes majeurs.

Son œuvre, livres, articles, préfaces, conférences, est très abondante, et on se contentera de 

citer quelques-uns des titres les plus significatifs : Macht des Bildes. Ohnmacht der rationalen 

Sprache. Zur Rettung des Rhetorischen (Puissance de l'image. Impuissance du discours 

rationnel. Pour sauver la rhétorique), 1re éd. 1970, 2e éd. 1979 ; Humanismus und Marxismus

 (Humanisme et marxisme), 1973 ; 


Die Macht der Phantasie. Zur Geschichte abendländischen Denkens (La Puissance de l'imagination. Pour une histoire de la pensée occidentale), 1979 ; Rhetoric as Philosophy. The Humanist Tradition (La rhétorique comme philosophie. La tradition humaniste), 1981 ; Heidegger and the Question of Renaissance Humanism (Heidegger et la question de l'humanisme de la Renaissance), 1983 ; Einführung in philosophische Probleme des Humanismus (Introduction au problème philosophique de l'humanisme), 1986 ; La Metafora inaudita (La Métaphore inouïe), 1990. Cette œuvre se déploie sur deux plans, qui peuvent, à un regard superficiel, paraître distincts. Il y a les travaux de Grassi philologue, spécialiste de l'histoire de l'humanisme italien de la Renaissance, à qui l'on doit des éditions savantes, traductions, introductions, consacrées entre autres à Salutati, Bruni, Pontano, Guichardin, Bruno, et Vico (considéré par lui comme le dernier et le plus grand représentant de la tradition de l'humanisme rhétorique dont le père est Cicéron). Et il y a les textes de Grassi philosophe, où il traite de la puissance de l'image et de l'imagination, et de l'opposition entre le langage logico-rationnel, qui est le présupposé de l'onto-théologie occidentale, et la parole poétique, métaphorique et pathétique, proche de l'être, de l'« abyssal ». Mais ces deux aspects de la pensée de Grassi ne font qu'un, et l'essentiel de son effort consiste à montrer, à partir de Heidegger, que l'humanisme latin échappe à la « clôture métaphysique ».

https://www.universalis.fr/encyclopedie/ernesto-grassi/

2 avril 2022

À propos du deuil


'' Faire son deuil ” peut sembler paradoxal mais c'est une tâche qui nous construit.

Le deuil peut apparaître comme un moment d’impuissance, cela dépend en premier lieu de notre vision de la mort, de notre relation avec elle : compagne amicale sur le chemin de la vie ou malédiction qu'il faut fuir à tout prix?

Pourtant, cet événement est bien réel, sorte d'agression de l'intérieur de soi-même ou moment de réconciliation avec soi-même et notre propre fin; hélas, nous n’y pouvons rien. Il s'agit donc de l'accueillir, de le porter, de s'y abandonner aussi sereinement que possible, car le deuil est un phénomène naturel dans l'aventure humaine.

Le deuil est plein de vie, ce travail spirituel consiste à accueillir notre pauvreté, nos limites personnelles tout en acceptant la perte dont nos vies sont tissées. Ici la vigilance psychologique est de mise, en effet, l'attention pare à l'éventualité que cette période de guérison et d'intégration de la réalité ne se transforme, dans une trop longue durée, en mélancolie qui devient alors un problème spirituel beaucoup plus profond.

Revêtir le deuil fait nécessairement partie de la vie, le reconnaître pour ce qu’il est évite de le transformer en opposition pouvant dégénérer en conflit intérieur à la première occasion et nous plonger dans un état qui, en son extrême, peut frôler la pathologie. Dans cette perspective, il faut intégrer la disparition de l'autre pour réaliser absolument “ce temps de détachement et d'abandon à ce qui est la condition destinale du sujet humain”.

Car dans notre société de consommation - de performance et de vitesse détestables et exécrables face aux expériences psychologiques de la mort et du deuil -, l'esprit du temps (Zeitgeist) nous enjoint à «escamoter » la mort, ce qui rend à nul autre pareil le temps du deuil aussi pénible que périlleux en sa prolongation, si l'on tente sans conscience d'en faire l'économie. Et pourtant rien, il n'y a rien de plus impossible. Le deuil fait partie de la vie, c'est plein de vie en cet espace. Car le jour que l'on ressent de la joie plutôt que de la tristesse, à la pensée du disparu, le deuil est résolu, accompli. C'est le propre de l'intégration du processus de cette grande énergie qu'est la Mémoire.

28 mars 2022

Vers une perçée de l'Être





Un homme de maturité innée est bon parce qu'il comprend tout en fonction de la nécessité du devenir. Il pardonne, et il surmonte son impatience, car il connaît la sagesse de l'Être qui veut « que tout se fasse en son temps! »
Ce n'est pas la mesure de l'achèvement supérieur des formes qui lui importe, car il ne connaît qu'un seul manquement : demeurer dans l'isolement égocentrique, dans la séparation, s'arrêter sur le Chemin, qui est finalement la voie de l'Unité. 
Son amour, toujours tendu vers une croissance salutaire, ne se permet plus de répit. Grâce à sacompréhension, il réussit à « dissoudre », nœud après nœud.   Il écarte les pierres qui gênent le pas suivant. Il ne prive pas autrui des fruits salutaires de la souffrance, car il sait combien elle est fertile, mais il indique comment la transformer d'une manière créatrice. Et jamais il n'oublie que tout ce qui vient de l'Être, vient à son heure.

Karlfried Graf Dürckheim, La percée de l'être : Ou les étapes de la maturité, 1971.

12 juillet 2021

L'humain demeure inchangé

Chaque être humain représente une version du monde, qu’il reçoit sans choisir, pour ensuite l’enrichir, la nier ou la défendre. Version qui, en réalité, est lui-même un monde qui prend racine avant que l’analyse et la discrimination n’aient pu faire leur entailles. Ainsi l’humain est pris au piège du monde en lequel il est comme une banquise dans la mer, comme un poisson prisonnier d’un aquarium. 

La part submergée, royaume intérieur échappant à la fonction logique, aux puissances du rationnel ou des systèmes figés, aux armures de l’ordre et de l’efficacité. Tout le domaine du sur-rationnel demeure évolution créatrice, source de vie, lieu d’unité des autres avec soi. Il revient à chacun, de se reconnaître, d’assumer ses possibles et ses limites, d’entreprendre en toute authenticité son par-cours en aventure d'histoire. En cela, il demeure inchangé en son unicité et aucun instrument, aucune technique, aucun pouvoir ne peut l'ouvrir à l’intégration de son origine spirituelle dont l’innocence de l’enfant demeure l'archétype. Il n’y a pas de congé au discernement, à l’urgence des choix, à l’appel à la désegocentration. Rien qui est à la  mode ne dure, car ce qu'on croit nouveau passe, va passer. et ne peut combler le cœur humain. Nous entrons dans une ère de l’invention du quotidien où seules les créateurs et les spirituels trouveront leur voie. Nulle recette, mais la possibilité accrue pour chacun de se retrouver soi-même comme autre antérieur au moi que l'on s'imagine être. Cette Voie est désormais aussi difficile qu’impérieuse, elle est unique mais chacun a la sienne.

M.G.L., 12 juillet 2021 

                             


20 juin 2021

L'estuaire

L'estuaire fait intuitionner l'impensable

mirouair de la déité c'est-à-dire de la Nature!

                     âmes simples et démodées discipline 

ça n'a de cesse de reflèter à travers les vitraux

                     source et écoulement d'excédant 

mouvement déstructurant;

              par nature                                            

                    le composé ne peut que

                                            se décomposer.



M.G.L., un matin à proximité d'un non-lieu près des substances, 15 juin, 2021


Théopoésie ou Dichtung à propos d'un livre récent de Peter Sloterdijk

  A quoi sert la religion ? D’où vient notre besoin de textes religieux ? Dans un essai exigeant, le philosophe allemand explore les rouages...